Mona Court-Picon, Sidonie Preiss, Eric De Waele, and Frédéric Heller (2015)
L’abbaye de Villers-la-Ville (Brabant Wallon, Belgique) et son environnement à l’aube de sa fondation : approche archéobotanique
In: Journées d’Archéologie en Wallonnie, Rochefort 2015, pré-actes, ed. by SPW Editions, pp. 130-131.
L’abbaye cistercienne de Villers-la-Ville en Brabant wallon fut fondée au 12e siècle (1146) par des moines en provenance de Clairvaux en Bourgogne (France), et abandonnée après la Révolution française à la fin du 18e siècle. L’abbaye se situe en fond de vallée, le long de la rivière de la Thyle au niveau de sa confluence avec deux ruisseaux, le Saint-Bernard et le ruisseau des Affligés. Site remarquable et classé monument historique en 1972, les ruines de l’abbaye présentent une architecture, des bâtiments, cours et jardins tout à fait exceptionnels. Bien que celles-ci soient fouillées depuis la fin du 19e siècle par des architectes et religieux, les résultats de ces travaux ponctuels n’ont jamais été publiés. Ce n’est qu’à partir de 1988 que des fouilles régulières et suivies ont été entreprises par le Service d’Archéologie de la Région Wallonne (COOMANS 1993). Les investigations archéologiques ont été menées depuis dans différents secteurs du site et ont concerné non seulement le sous-sol et les bâtiments, mais aussi l’iconographie et les sources écrites.
Les études archéobotaniques (grains de pollen et spores, fruits et graines, bois et charbons de bois) se concentrent quant à elles sur du matériel issu des phases les plus récentes des dernières fouilles conduites entre 1997 et 2012 par la Région Wallonne. Elles ont été entreprises afin de reconstituer le paysage à l’arrivée des moines ainsi que les changements environnementaux induits par la construction d’une telle abbaye. En effet, si les six siècles de vie de l’abbaye sont désormais déjà bien connus, la période précédant son installation reste mystérieuse : Pourquoi les moines ont-ils choisi ce site ? Comment était le paysage à leur arrivée ? Quels changements environnementaux furent induits par la construction d’une telle abbaye ? Quelles étaient les relations entre les hommes et leur milieu au moment de l’installation puis de l’occupation du site de l’abbaye ?
Les sites de fond de vallée sont en effet réputés par la tradition comme étant hostiles à un établissement humain. L’archéologie à Villers-la-Ville a montré que les premiers travaux réalisés par les moines à leur arrivée ont consisté à voûter et canaliser la rivière et les deux ruisseaux en souterrain, à installer un maillage complexe de drainages et à construire par-dessus une vaste et haute plate-forme artificielle de matériaux pierreux pour édifier les bâtiments. Des efforts gigantesques d’assainissement du site ont donc été entrepris aux débuts de l’installation (COOMANS 1994).
C’est à ces questions que les investigations archéobotaniques tentent de répondre, à travers l’étude de matériel sédimentaire provenant de sondages profonds ou des couches les plus basses qui aient été rencontrées lors des fouilles de 3 secteurs différents de l’abbaye : les zones Moulin/Station d’épuration et Porte de la Ferme appartenant à l’abbaye de transition Villers II (1147-1197) faisant suite au premier camp de base éphémère établi plus au sud (Villers I, 1146-1147), et la zone de la Porte de Bruxelles située au niveau de l’abbaye existante Villers III (1197-1796) au nord.
Le sondage le plus profond a été réalisé à la pelle mécanique en 2010 sur le site de la Porte de Bruxelles. Il livre une stratigraphie de 4 m d’épaisseur environ à plus de 80 cm sous la surface du sol actuel, sans le moindre matériel archéologique. Le niveau supérieur du sondage se trouve directement sous une voirie ancienne (dalles plates et ornières). Dix unités stratigraphiques ont été identifiées montrant une alternance de couches plus ou moins humifères et de remblais anthropiques, au-dessus des argiles d’altération du socle schisteux. Les datations radiocarbone effectuées le long du profil, comprises entre le 10e et le 12e siècles, suggèrent que le comblement à cet endroit de la vallée s’est opéré assez rapidement par les moines en vue d’assainir le site. Le sondage semble donc bien remonter avant la fin du 12e siècle et permettre ainsi l’étude du paysage naturel au moment de l’implantation de Villers III. Construite au cours du premier âge d’or de l’abbaye au début du 13e siècle, la porte de Bruxelles servait de porterie et était donc l’entrée principale de l’abbaye (DE WAELE & HUBERT 1998). La porterie était double avec une porterie extérieure et une porterie intérieure, reliés par une voie pavée. la première fut la seule dans un premier temps, probablement durant la première moitié du 13e siècle, tandis que la seconde fut ajoutée par la suite, vers 1275.
Les résultats archéobotaniques obtenus sur les couches organiques et argileuses de ce sondage montrent un paysage déjà assez ouvert aux abords de l’abbaye à l’arrivée des moines sur le site de Villers III. Les assemblages polliniques sont dominés par des ligneux pionniers héliophiles (noisetier, bouleau, aulne) de milieux ouverts, haies et lisières, et bords des eaux, tandis que hêtraies et chênaies mixtes sont en régression. Les céréales sont présentes, accompagnées de quelques messicoles et adventices des cultures, ainsi que plusieurs plantes rudérales et nitrophiles. Suite à une première phase de remblais, puis une deuxième afin d’élever le niveau au-dessus de l’eau avant les premières constructions à la Porte de Bruxelles, ces boisements clairs (corylaie, boulaie) sont à leur tour attaqués au profit de cultures relativement importantes (céréales, dont le seigle, et légumineuses), mais aussi de prairies et pelouses plus ou moins impactées. La carpologie suggère une mise en culture locale des sols humides et temporairement inondés peu avant et au moment des premiers travaux dans ce secteur de l’abbaye. Une nouvelle montée des eaux est ensuite enregistrée par la palynologie avec pour conséquence un déplacement des cultures céréalières et des légumineuses, tandis que les dernières forêts de hêtres sont déboisées. Les derniers changements environnementaux enregistrés vers la fin du 12e siècle montrent un développement de l’arboriculture, ainsi qu’un essor des landes sous l’action de l’érosion et de la pression pastorale.
Les analyses archéobotaniques en cours dans les deux autres secteurs de l’abbaye devraient nous permettre d’avoir une vision encore plus complète du paysage avant l’occupation de Villers et au cours de sa construction :
- le Grand Moulin, dont la construction remonterait à la fin du 12e siècle peu avant celle de la Porte de Bruxelles, a livré un sondage avec une épaisse couche tourbeuse dans laquelle plusieurs faits archéologiques antérieurs au Grand Moulin ont été mis au jour.
- la Porte de la Ferme, où les fouilles archéologiques ont livré des découvertes datées de la seconde phase d’établissement de l’abbaye Villers II et même avant, jetant ainsi un éclairage nouveau sur l’occupation du lieu, non seulement durant les premiers temps de l’existence de l’abbaye, mais aussi avant l’installation de celle-ci avec des structures bien antérieures à l’arrivée des moines (DE WAELE et HELLER 2013).
Bibliographie
COOMANS T. (1993). Villers-la-Ville : ruines de l'abbaye cistercienne. Chronique de l’Archéologie Wallonne 1, 15-16.
COOMANS T. (1994). Villers-la-Ville : ruines de l'abbaye cistercienne. Chronique de l’Archéologie Wallonne 2, 24-25.
DE WAELE E., HELLER F. (2013). Villers-la-Ville/Villers-la-Ville : l’ancienne abbaye, découvertes aux abords de la porte de la ferme. Chronique de l’Archéologie Wallonne 20, 43-51.
DE WAELE E., HUBERT B. (1998). Villers-la-Ville : fouilles à l'abbaye, porte de Bruxelles. Chronique de l’Archéologie Wallonne 6, 9-10.
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